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La douleur chronique, première indication pour le cannabis médical

 

Le cannabis médical rejoindra bientôt l’arsenal thérapeutique destiné à soulager les personnes souffrant de douleurs chroniques.

Nicolas Authier, Université Clermont Auvergne (UCA)

The Conversation et l’Institut Analgesia vous proposent une série de textes consacrés à la problématique de la douleur. Au programme de ce nouvel article : la prescription de cannabis médical dans les douleurs chroniques. Ou comment le cannabis, considéré comme une substance stupéfiante, pourrait devenir un « médicannabis »…

12 millions de Français au moins souffrent de douleurs chroniques, autrement dit de douleurs permanentes, subies pendant au moins trois mois consécutifs, aux conséquences physiques, morales et sociales importantes.

Dans de telles conditions, la douleur devient une maladie à part entière, altérant la qualité de vie des patients de façon durable. Et ce, d’autant plus que chez ces derniers les traitements antidouleur sont souvent insuffisamment efficaces : en France, on estime que plus de 70 % des patients douloureux chroniques ne reçoivent pas de traitement approprié. Cette pathologie induit une forte consommation de soins et un important absentéisme professionnel. Elle constitue donc également un enjeu économique et social majeur.

Dans ce contexte, le cannabis médical vient enrichir la palette des produits thérapeutiques disponibles, tout en s’inscrivant dans l’accompagnement global du patient douloureux. En effet, dans les pays ayant légalisé l’accès au cannabis médical, le soulagement de la douleur chronique est la première indication de ces produits fabriqués selon des standards pharmaceutiques.

Cannabis et douleur : comment ça marche ?

L’être humain possède un système dit « endocannabinoïde », qui joue un rôle important dans la régulation des processus vitaux (homéostasie). Composé d’un ensemble de récepteurs ainsi que de substances endogènes (c’est-à-dire synthétisées par l’organisme lui-même) qui s’y fixent, ce système de signalisation est très ancien dans le règne animal. Il a été bien conservé au cours de l’évolution, puisqu’on le retrouve chez tous les vertébrés.

La caractérisation de ce système de neurotransmission au cours des années 1970 et 1980 a initié la recherche sur l’intérêt de le moduler dans des maladies comme la douleur chronique.

Plusieurs molécules produites par la plante Cannabis sativa L ont une action sur le système endocannabinoïde de l’être humain. C’est notamment le cas du delta-9-tétrahydrocannabinol (plus communément dénommé THC), capable d’activer les récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2 ainsi que d’autres protéines impliquées dans la transmission des messages douloureux jusqu’au cerveau.

Le cannabidiol (CBD), l’autre molécule présente dans le cannabis, aurait moins d’affinité pour les récepteurs cannabinoïdes. Il module cependant l’effet du THC sur ses récepteurs et en limite les effets indésirables, notamment neuropsychiatriques (somnolence, anxiété…). Le CBD renforce aussi l’activation du système en inhibant la dégradation d’un endocannabinoïde, l’anandamide. Son action activatrice sur des récepteurs de la sérotonine expliquerait son effet anxiolytique. Enfin, le CBD se fixerait sur de nombreux autres récepteurs impliqués dans l’inflammation et la perception de la douleur.

Un début de validation scientifique

L’évaluation de l’intérêt du cannabis médical dans de très nombreuses situations cliniques douloureuses a fait l’objet de publications scientifiques, cependant les niveaux de preuve restent souvent modestes, voire faibles, lors des essais cliniques conventionnels qui le comparent à un placebo.

De nombreuses études cliniques ont notamment porté sur l’emploi du cannabis médical pour traiter les douleurs musculosquelettiques, en particulier la spasticité, une contraction musculaire douloureuse. Ce trouble concernerait non seulement jusqu’à 25 % des 100 000 Français souffrant de sclérose en plaques, mais aussi ceux présentant une lésion de la moelle épinière ou des séquelles suite à un accident vasculaire cérébral. Le Sativex, un médicament à base d’extrait de cannabis, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en 2014 pour cette indication mais n’est toujours pas commercialisé, faute d’accord sur son prix de vente entre les autorités et le laboratoire qui le commercialise.

Le bénéfice pour la santé des produits dérivés du cannabis a également été mis en évidence dans la douleur neuropathique. Ce type de douleur, qui concerne 7 % de Français (soit un quart des personnes souffrant de douleur chronique), résulte d’une lésion ou d’une maladie du système somatosensoriel. Il se présente sous la forme d’un ensemble de symptômes douloureux (fourmillements intenses, décharges électriques, sensation d’écrasement, de brûlure ou de coup de couteau…) pour lesquels les traitements médicamenteux recommandés, antidépresseurs ou antiépileptiques, ne sont que très partiellement efficaces et parfois mal tolérés.

Ces deux affections sont les principales indications de douleur chronique retenues dans l’expérimentation française qui sera pilotée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), de 2021 à 2023 : 1500 des 3 000 personnes qui seront traitées pendant l’expérimentation seront concernées.


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Des patients français sujets à des douleurs très fréquentes expérimenteront également le cannabis médical. C’est en particulier le cas de ceux concernés par les indications en soins palliatifs (500 patients à recruter) et les complications liées au cancer (500 patients à recruter).

D’autres douleurs chroniques sont l’objet de travaux de recherche un peu partout dans le monde, avec des résultats parfois encourageants, mais qui doivent encore être scientifiquement confirmés par des études méthodologiquement plus rigoureuses.

C’est le cas de l’utilisation thérapeutique du cannabis dans la fibromyalgie, certaines céphalées chroniques, l’endométriose, la drépanocytose ou encore les douleurs ostéo-articulaires.

Ni l’alpha ni l’oméga du traitement de la douleur

Les médicaments à base de cannabis ne sont en aucun cas la promesse d’une vie sans douleur ; ils doivent s’inscrire dans la prise en charge globale du patient douloureux. L’objectif thérapeutique de leur utilisation pour traiter la douleur chronique dépasse la seule atténuation de l’intensité douloureuse, bien que ce point soit souvent considéré comme l’objectif principal dans les essais cliniques.

Le cannabis médical pourrait aussi impacter positivement les troubles associés à la douleur comme la souffrance psychique ou les troubles du sommeil. L’objectif final est bien d’améliorer la qualité de vie d’un patient souffrant d’une affection chronique, de lui permettre de ne plus consacrer son énergie vitale à lutter contre cette douleur. C’est aussi de l’aider à mieux travailler sur l’acceptation de cette « douleur maladie » et à retrouver une activité physique plus régulière, ainsi que des pensées plus positives.

Les douleurs chroniques touchent plusieurs millions de personnes en France.
Fondation Analgesia, Author provided

L’expérimentation française sera l’occasion de déterminer la place potentielle de ces médicaments et leurs modalités de prescription dans les stratégies thérapeutiques proposées pour contrer la douleur chronique. Dans cette optique, le choix des produits selon leur composition, en THC et en CBD notamment, et l’adaptation des posologies doivent encore être précisés.

Aller vers une médecine personnalisée

Le traitement d’un patient souffrant d’une douleur chronique ne doit pas être centré sur la prescription de médicaments, lesquels ne représentent qu’une partie de la solution. La recherche sur le cannabis médical et la douleur doit, au contraire, s’inscrire dans une médecine de précision.

Elle doit viser des objectifs thérapeutiques pertinents, davantage centrés sur le patient douloureux que sur la seule disparition de sa douleur.

Pour cela, des approches complémentaires combinant des études en vie réelle et des essais cliniques conventionnels contre placebo ou contre des médicaments de référence doivent être mis en œuvre.

Par ailleurs, l’effet d’entourage, selon lequel la combinaison de plusieurs composés contenus dans la plante serait plus efficace que si les cannabinoïdes (THC, CBD…) étaient administrés isolément, devra être mieux étudié. Il est souvent invoqué pour justifier l’administration du totum de la plante (plante entière ou partie de la plante utilisée en l’état, et contenant donc de nombreuses molécules). Les médicaments à base de cannabis sont donc des mélanges complexes de plusieurs dizaines, voire centaines de substances. La part éventuelle d’autres cannabinoïdes et de certains terpènes dans leur efficacité devra être évaluée, pour optimiser leur composition finale.


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À terme, il s’agira de déterminer plus précisément quel produit à base de cannabis pourra être prescrit à quel patient afin d’avoir le maximum de chances d’atteindre l’objectif thérapeutique. Cela permettra d’améliorer le rapport coût/efficacité de ces médicaments et d’éviter des prescriptions trop hasardeuses, voire trop nombreuses, comme on l’observe parfois chez des patients douloureux surmédiqués et pourtant non soulagés.

Nicolas Authier, Médecin psychiatre et pharmacologue, Professeur de médecine, Inserm 1107, Fondation Analgesia, CHU Clermont-Ferrand, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.