Dans le monde, une femme sur dix environ souffre d’endométriose. Cette affection se caractérise par des douleurs pelviennes chroniques, qui sont non seulement extrêmement douloureuses, mais peuvent également entraîner une infertilité. L’endométriose est causée par le développement, à l’extérieur de l’utérus, d’un tissu ressemblant à la muqueuse utérine (appelée « endomètre »).
Il n’existe actuellement aucune thérapie destinée spécifiquement à cette affection, et l’efficacité des traitements visant à gérer les symptômes et la douleur est souvent limitée : certains essais ont montré que chez 11 % à 19 % des femmes, ils n’ont aucun effet sur la réduction de la douleur.
La plupart de ces traitements se concentrent sur ce que l’on appelle la « douleur nociceptive ». Ce type de douleur résulte de la stimulation de récepteurs de la douleur en réaction à des lésions tissulaires, potentielles ou réelles. En général, la douleur nociceptive répond bien aux analgésiques classiques, c’est pourquoi la plupart des traitements proposés dans le cadre de l’endométriose contiennent de l’ibuprofène ou du paracétamol.
Cependant, étant donné que toutes les femmes souffrant d’endométriose ne répondent pas à ce type de traitement, les chercheurs ont commencé à étudier les effets d’autres traitements, visant à s’attaquer à une autre sorte de douleur, la douleur neuropathique. Cette dernière est provoqué non plus par l’activation de récepteur, mais par des lésions ou des dysfonctionnements survenant directement au niveau des nerfs. Souvent, les douleurs neuropathiques ne répondent pas aux analgésiques tels que l’ibuprofène. Ces douleurs peuvent être à l’origine d’une intense souffrance et d’une grande détresse psychologique.
Nous avons tenté de déterminer si le fait que certaines femmes atteintes d’endométriose ne répondaient pas aux traitements traditionnels parce que leurs douleurs étaient d’origine neuropathique plutôt que nociceptive. Le résultat de nos recherches indique que les douleurs ressenties par 40 % des patientes atteintes de cette maladie peuvent effectivement être classées comme des douleurs neuropathiques.
Douleurs neuropathiques
Jusqu’à récemment, aucun travail de recherche n’avait été mené en vue de déterminer si les personnes atteintes d’endométriose pouvaient souffrir de douleurs neuropathiques. Pourtant, cela pourrait bien être le cas, et plusieurs théories viennent à l’appui de cette hypothèse.
En premier lieu, les tissus qui se développent à l’extérieur de l’utérus en cas d’endométriose – appelées « lésions endométriosiques » – contiennent des nerfs. Ces nerfs pourraient être plus sensibles que les autres, ou se retrouver écrasés par d’autres tissus, ce qui pourrait être à l’origine de douleurs neuropathiques. Autre possibilité : le diagnostic définitif d’endométriose n’est posé qu’après une laparoscopie (opération consistant à insérer dans le bassin une petite caméra, par une petite incision pratiquée dans le nombril). Cette intervention implique bien entendu de couper des nerfs, ce qui peut être à l’origine de douleurs neuropathiques post-chirurgicales.
Nous avons mené une enquête en ligne auprès de 1 417 femmes ayant déclaré souffrir d’une endométriose diagnostiquée par chirurgie laparoscopique. Nous avons pour cela utilisé un outil de dépistage de la douleur neuropathique appelé painDETECT, composé de neuf questions portant sur les caractéristiques de la douleur ressentie – par exemple, évoque-t-elle une « brûlure » ou plutôt « des décharges électriques ». Des questions portent également sur la variation de la douleur au fil du temps, ou sur la façon dont elle irradie vers d’autres parties du corps. Selon leurs réponses, les femmes ont été classées en trois catégories : victimes de douleur nociceptive, de douleur neuropathique ou d’un mélange des deux.
Nous avons constaté que 40 % des femmes interrogées souffraient de douleurs neuropathiques. Par ailleurs, 35 % présentaient un mélange de douleurs neuropathiques et nociceptives. Nous avons également constaté que les patientes souffrant de douleurs neuropathiques ressentaient une plus grande douleur de façon générale (à la fois durant leurs règles, tout au long de leur cycle menstruel ou pendant les rapports sexuels), une plus grande anxiété et dépression, ainsi qu’une plus grande fatigue accompagnée de dysfonctionnements cognitifs (tels que des difficultés à se concentrer et à se souvenir).
Nous avons également constaté que plus le nombre d’endométrioses ou d’interventions chirurgicales abdominales subies par une femme était élevé, plus celle-ci était susceptible de souffrir de douleurs neuropathiques. Or, la chirurgie est utilisée non seulement pour diagnostiquer l’endométriose, mais aussi pour exciser ou brûler les lésions endométriosiques, dans l’espoir de soulager les symptômes.
Perspectives d’avenir
Cette découverte de l’importance de la prévalence de la douleur neuropathique dans l’endométriose souligne l’importance d’étudier plus avant les douleurs ressenties dans le cadre de cette affection, afin de mieux la traiter et la prendre en charge. Notre étude ne nous permet en revanche ni de déterminer l’origine des douleurs neuropathiques que nous avons mises en évidence ni de savoir si les interventions chirurgicales répétées visant à soulager les patientes sont utiles ou, au contraire, néfastes.
De futures études devront être menées afin non seulement de mieux diagnostiquer cette douleur neuropathique, mais aussi de déterminer comment elle est ressentie d’une femme à l’autre, ce qui pourrait les aider à identifier les mécanismes sous-jacents de la douleur dans cette affection. Mieux nous les comprendrons, mieux nous serons armés pour développer des médicaments efficaces pour prendre en charge les douleurs liées l’endométriose.
Il pourrait également être intéressant de chercher à savoir si les traitements utilisés pour soulager d’autres affections s’accompagnant de douleurs neuropathiques – comme la névralgie post-zostérienne, une complication du zona qui provoque des douleurs évoquant des brûlures – fonctionnent aussi chez les femmes atteintes d’endométriose.
Ces travaux devront également déterminer comment identifier les personnes les plus susceptibles de bénéficier de ces traitements, en utilisant éventuellement des questionnaires comme outils de dépistage. Ces informations sont d’autant plus importantes que nous sommes en train de changer de paradigme, passant d’une approche indifférenciée à un traitement sur mesure, choisi selon les symptômes douloureux ressentis par la patiente.
Lydia Coxon, Postdoctoral Researcher, Pain in Women Group, University of Oxford et Katy Vincent, Associate Professor, Pain in Women Group, University of Oxford
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.